Dominique Gauthier

François-Paul Journe

Quand la Haute Gastronomie rencontre
la Haute Horlogerie

Le Restaurant

Une rencontre entre deux artistes


François-Paul Journe cherchait un chef de cuisine brillant et aguerri pour raviver l’arcade patrimoniale de la Rue du Rhône.

Dominique Gauthier rêvait d’un nouveau défi, d’une belle adresse à investir à Genève, après trois décennies dans les cuisines du Chat Botté.

Un ami commun, qui aime les montres de l’un et la cuisine de l’autre, les fit se rencontrer. Et le courant passa. Ne parlent-ils pas la même langue, celle de l’exigence, de la passion, de la minutie ? Ensemble, ils imaginèrent une atmosphère, un lieu d’exception. Ensemble, ils dessinèrent un “bistrot chic”, au cadre somptueusement vintage, aux vins fins et à la cuisine classieuse, comme on n’en trouve guère au bout du lac Léman. De cette rencontre entre deux artistes aux registres lointains en apparence, mais si proches en réalité, naquit “F.P.Journe Le Restaurant”. Une table où s’unissent les excellences horlogère, œnologique et gastronomique.

Le Restaurant

L’histoire de la Bavaria


Banque L. BAEZNER & Cie., entrées Rue du Rhône 49 et Grand Quai 30, en face du Jardin Anglais - © Imp. Atar, Genève, Corraterie 12

C’est un monument historique du manger et du boire que viennent d’investir Dominique Gauthier et François-Paul Journe.

Un bistrot de légende, joyau classé du patrimoine bistrotier du canton de Genève, dernier témoin des grands cafés et restaurants qui jalonnaient la rue du Rhône à la fin du XIXe siècle, qui fut le théâtre de l’éclosion de la Genève internationale.

Sis au 49 de la rue, l’immeuble, placé dans le même alignement que l’hôtel Métropole, est sorti de terre dans les années 1852-1860, après la démolition des fortifications sur le Grand Quai, l’actuel quai du Général-Guisan. En 1912, un ancien droguiste, Adolphe Neiger, ouvre au rez-de-chaussée, dans une ancienne agence de la banque Baezner qui donne à la fois sur le Jardin Anglais et la rue du Rhône, une brasserie spécialisée dans les bières allemandes. D’où le nom de l’enseigne: la Bavaria. Madame Neiger, qui a du caractère et aide son époux au bistrot, fait aussi, raconte Jean-Claude Mayor dans son livre La bouteille, la table et le lit à Genève à la Belle Époque, “d’excellentes confitures de mirabelles cueillies dans son verger de la Belotte”.

Bref, la Bavaria n’aurait pu rester qu’un autre débit de mousses si la toute jeune Société des nations, fondée en 1919 au sortir de la 1ère guerre mondiale, n’avait tenu ses régulières assemblées à la salle de la Réformation, à un pâté de maisons de là. C’est proverbial : au sortir de longues palabres, le délégué international a soif. Et la salle de la Réformation n’a pas de buvette. La brasserie devient donc le “stamm*” de ces messieurs de la SDN. Ministres, chefs d’état et journalistes du monde entier s’y attablent. Neville Chamberlain, Chancelier et Ministre de la santé en Angleterre, y oublie un soir son parapluie. Aristide Briand, plusieurs fois Président du Conseil en France, y a son rond de serviette.

*En Suisse, lieu où se retrouvent régulièrement un groupe d’amis, les membres d’une société.

Genève, le Grand Quai. Restaurant Bavaria et Hôtel Métropole.
Photographie de presse
© Agence Rol - Bibliothèque nationale de France

© Derso et Kelen

Deux caricaturistes hongrois réfugiés à Genève, Derso et Kelen, aiment à croquer tout ce beau monde. Parmi leurs dessins, on reconnaît les fidèles clients de la brasserie : Briand, Chamberlain et Gustav Stresemann, Ministre des affaires étrangères allemand. Au fil des années, les murs de l’établissement se constellent de près de deux cents croquis représentant les phénix de la diplomatie d’alors. Ils y resteront jusqu’au changement d’enseigne à l’aube des années 1980. Les caricatures, qui ornaient la brasserie pour la plus grande fierté du couple Neiger, font aujourd’hui partie de la collection privée du banquier Ivan Pictet.

© Derso et Kelen - Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève

Le premier décor de La Bavaria ne fait pas dans l’épure. Il évoque le folklore germanique et l’ambiance des Bierstuben. Le bas des murs sont recouverts de lambris, les parties supérieures s’ornent de grands miroirs et de panneaux décoratifs aux motifs tirés de l’art populaire; petits oiseaux et scènes de beuveries, médiévales ou campagnardes.

Le beau décor actuel, lui, date de 1942. La brasserie subit alors une complète rénovation par l’architecte Jean Falciola et l’ensemblier Louis Amiguet. De hautes boiseries de chêne sombre et de grands miroirs habillent les murs. Comme auparavant, les plafonds ont reçu des coffrages aux motifs géométriques. Les angles arrondis de certaines boiseries, tels que le tambour d’entrée ou le comptoir, présentent de discrètes rosaces incisées conférant une petite note rustique à l’ensemble.

Et quand, en 1982, le palais de la bière devient “Le Relais de l’Entrecôte”, ce cadre somptueux ne bouge guère. Après vingt-cinq ans de bonnes et loyales grillades, l’adresse devient en 2006 le théâtre de plusieurs bagarres juridiques. En 2012, les autorités genevoises, pour sauver l’enseigne et son atmosphère, classent le décor du bistrot, des boiseries au plafond, en passant par les tables, chaises et miroirs.

En 2014, le Relais doit déménager Rue Pierre-Fatio, juste à côté. L’ex-Bavaria devient alors “Le 49 Rhône” en 2015. Puis “Marjolaine” quand, en 2018, Philippe Chevrier est appelé à la rescousse par les propriétaires et transforme l’arcade patrimoniale en trattoria haut de gamme. Le restaurant fermera en mars 2019 afin de permettre une longue rénovation de la structure et une mise aux normes, avant de renaître en “F.P.Journe Le Restaurant”, toujours dans son charmant décor. A sa tête: le chef étoilé Dominique Gauthier et l’artiste-horloger François-Paul Journe, épicurien féru de vins fins. Ainsi s’ouvre un nouveau chapitre d’une saga plus que centenaire.

La touche horlogère

Entre les boiseries patrimoniales du restaurant de la rue du Rhône, François-Paul Journe a glissé quelques évocations de son art et de son histoire. Les tables ne sont pas numérotées, mais portent le nom “d’artisans du temps” célèbres. Les cadres muraux s’ornent désormais de reproductions des savants mécanismes et subtils composants qu’abritent les créations de la marque. Quant aux couteaux, ils abritent, en leurs manches, rouages, vis et aiguilles. C’est donc baigné par la magie du mouvement horloger que l’on savoure son repas.